De l’ère initiale de la représentation simili-touristico-diplomatique, les Offices Nationaux du Tourisme évoluent à la grande satisfaction de l’industrie mondiale (voyagistes, distribution, aérien…) vers des comportements pleinement assumés d’officines de marketing. L’époque pendant laquelle tout au plus 20 destinations majeures dans le monde se battaient pour recueillir les faveurs des vacanciers de quelques tout au plus 10 marchés majeurs en Europe, Amérique du Nord et Asie du Nord-Est est bel et bien révolue. Les caractéristiques des marchés d’alors permettaient aux Offices Nationaux du Tourisme d’investir dans de somptueux bureaux vitrines avec grands renforts de personnels expatriés dans une dizaine de villes (Londres, Berlin, Paris, New York, Tokyo, Milan, Madrid, Los Angeles, Sydney…). Ce temps est révolu. Rares sont les pays dont les finances publiques permettent de bâtir un réseau performant de présence « en propre » dans chacun des pays émetteurs. Aussi, le web a remplacé le comptoir d’information. À l’horizon 2020, le nombre de territoires (villes, resorts, régions, pays, regroupement d’états…) affirmant pleinement une vocation touristique et ayant pertinence marketing à promouvoir leur « marque destination » aura encore considérablement augmenté. Qui aurait imaginé il y a encore 5 ans que le Qatar devienne une grande destination touristique ? Demain sera le tour de l'émirat de Sharjah, de la Corée du Nord, du Kazakstan… La concurrence explose côté offre, non seulement du côté des pays mais également des régions et villes qui désormais rentrent dans l’arène marketing. Côté demande, si le « gâteau » mondial à partager est de plus d'1 milliard de touristes aujourd’hui, il sera de plus d’1 milliard huit cent millions en 2030 affirme l’Organisation Mondiale du Tourisme. Imagine-t-on des scenarii moins optimistes dus à l’augmentation du coût de l’aérien ? Si oui, alors la guérilla marketing entre destinations n’en sera que plus rude pour séduire les voyageurs internationaux « happy few ». Parallèlement, l’affirmation d’économies émergentes en Afrique, Asie et Amérique du Sud… rentrant à leur tour dans l’ère des loisirs multipliera le nombre de marchés émetteurs intéressants à travailler et donc d’opportunités de capter de nouvelles clientèles. En bref, l’offre de destinations continue d'exploser et la demande mondiale sera encore plus diversifiée géographiquement, segmentée sociologiquement, complexifiée technologiquement, zappeuse par goûts ou contraintes… Les budgets de promotion des destinations doivent alors se répartir sur un nombre croissant de marchés émetteurs - et il est clair que ces sommes n’augmenteront pas proportionnellement à la multiplication des marchés à considérer. Cette équation comptable ne peut se résoudre qu’en valorisant les investissements marketing au détriment des charges structurelles (locaux, personnels…) des Offices du Tourisme sur chacun des marchés considérés. La mutualisation des moyens et l’outsourcing du marketing des destinations à des sociétés privées aux contrats renouvelés sur résultats est donc l'équation gagnante. Il est souhaitable et prévisible que le politique garant du bien commun reste maître du pilotage du marketing stratégique des destinations. Mais, sous la pression de leur industrie réceptrice aux exigences de yield accrue et de leurs contribuables citoyens davantage attentifs à la bonne gestion de fonds publics, les responsables politiques n’ont pas d’autres choix que d’évoluer vers des structures de promotion plus souples, efficaces, adaptables, véloces, investies pleinement de la culture du retour sur investissement…
Parallèlement à ce recours accru à l'externalisation marketing sur les marchés internationaux se profile une autre mutation majeure : celle des marques territoriales globales ou dans ses acceptations anglo-saxonnes, du "country branding" ou du "place marketing". La composante tourisme est certes encore aujourd’hui le premier poste d’investissements de promotion extérieure globale des territoires. Mais transversale par essence et identitaire par excellence, l’image touristique nourrit, renforce et crédibilise les autres éléments d’attractivité des territoires en participant aux critères de choix dans le développement d’activités économiques et d’investissements, comme également d’installation de talents (expatriés, étudiants, …) et la venue d’événements médiatiques (sportifs, économiques, diplomatiques, …). Rien de tel en effet que la bonne image touristique d’un territoire pour décider un étudiant de privilégier telle université plutôt qu’une autre de même niveau, pour inviter un investisseur à bâtir une nouvelle usine et réussir à convaincre des conjoints d’expatriés de changer de vie, pour aider une filière agro-alimentaire de diffuser ses produits dans le monde, pour amener un producteur de film star à y tourner son prochain succès…. Bref, la recherche de synergies d’images et de moyens conduit toutes les institutions chargées de l’attractivité d’un territoire (offices du tourisme, bureaux d’export et chambres de commerce, centres culturels, agences de promotion du cinéma, réseau diplomatique, grands événements, universités....) à désormais mieux travailler ensemble, et ce sous une marque territoriale commune et holistique à forte identité. Cette prise de conscience de la puissance des marques dans une économie globalisée et numérisée bouleverse les missions, structures et modes de gouvernance des traditionnels offices du tourisme. A titre d’exemple au niveau local - inspirée de démarches similaires à Amsterdam Marketing ou encore New York & Company , près de 20 partenaires et institutions économiques de la métropole lyonnaise ont créés dès 2007 la marque territoriale OnlyLyon pilotée par l’ADERLY (Agence pour le Développement Economique de la Région Lyonnaise). A l’étranger « London & Partners » pilote avec plus de 1000 partenaires la politique d’attractivité de la ville en faveur des investisseurs, du tourisme, des grands événements et des étudiants. Au niveau régional, le CRT Alsace et Alsace International ont fusionnés depuis janvier 2014 pour créer l’ «Agence Régionale pour l’Attractivité et le Rayonnement de l’Alsace » et exploiter ensemble la marque ImaginAlsace. La marque "Auvergne Nouveau Monde" s'impose quant à elle dans tous les champs de l'attractivité de la région. A niveau national français, pas moins de 4 Ministères ont joint leurs forces en 2013 pour travailler à l’émergence d’une « Marque France ». Les marketeurs du tourisme rentrent ainsi au cœur de problématiques d’attractivité qui dépassent désormais les simples enjeux économiques de l’unique industrie des voyages. A ce titre, les Offices du Tourisme de tous niveaux (local, régional ou national) sont souvent à l’origine et les premiers associés aux projets globaux de « Country Branding » ou de « Place Marketing ». Un nouveau paradigme se dessine donc avec l’émergence des notions de marques partagées, de mutualisation de moyens entre différents organismes et d’externalisation du marketing de l’attractivité des territoires sur les marchés extérieurs.
Philippe Mugnier
Article publié dans l'ouvrage "Le Marketing du Tourisme" - 3ème édition de 2014 - DUNOD
http://www.dunod.com/entreprise-gestion/entreprise-et-management/marketing-communication/ouvrages-professionnels/marketing-du-tourisme