Article paru le 28 juin 2021 dans MisterTravel
Sous le mot d’ordre « plus de droits, moins de blabla ! », la Marche parisienne des Fiertés de ce samedi 26 juin a eu des allures de grandes retrouvailles d’une communauté LGBTQIA+* qui en avait visiblement assez de promesses en l’air à une année de l’élection présidentielle… Esprit des temps post-confinement, derrière ce défilé joyeux sont apparues de nouvelles radicalités peut-être annonciatrices d’une tendance nouvelle quant à l’accompagnement, voire parfois l’instrumentalisation marketing des luttes LGBTQIA+ par les grandes marques. Après la radicalité politique de la première édition de 1977, la « Gay Pride » parisienne, devenue au fil des décennies « Marche des fiertés », nous avait en effet habitué à son cortège de chars associatifs mais aussi commerciaux de grandes sociétés (MasterCard, RATP, EDF, Monoprix, Orange…) venues donner des signes de connivence aux minorités sexuelles, ou plus cyniquement venues travailler leur « pink money ».
Haro sur le « pinkwashing » !
La composante militante de la communauté LGBTQIA+ semble actuellement traversée par une lame de fond de nouveaux clivages. Pour preuve se tenait à Paris une semaine avant la « Pride » du 26 juin une autre marche radicale présentée comme « anti-capitaliste » et « anti-raciste » (voir ce lien) et en opposition ouverte avec la marche « officielle » organisée traditionnellement par l’organisme inter-associatif « InterLGBT ». Le reproche fait à la marche historique ? celui d’« ouvrir la porte aux récupérations capitalistes et politiques de nos luttes en marchandant la place de char d’entreprises au sein de la marche des fiertés» et de dénoncer tout de go « Une visibilité manipulée par des institutions néolibérales ne vise qu’à récupérer des populations au départ marginalisées, potentiellement contestataires de l’ordre établie, pour en faire des défenseuses du système une fois qu’elles sont passées du côté des gagnant·e·s. ».
De la place de l’Opéra à Chatelet, cette « contre pride » a sans conteste rassemblé une foule dense et radicale dans l’air du temps « décolonial », « indigéniste » et « racialisé », et toute en dénonciation d’un « pink washing » caractéristique selon elle des dernières éditions de la « Pride »… Pride et « contre-Pride » seront-elles reconciliables pour retrouver dès 2022 l’unité d’antan ?
Plus de politique, moins de business
Ce procès fait en « embourgeoisement » et « récupération » par les marques de la communauté LGBTQIA+ se tient l’année même où, contraintes sanitaires obligent, la « Pride » n’admettait pas de chars mais une simple foule de 30000 marcheurs qui lui donnait du coup une dimension beaucoup plus politique que d’habitude... Aussi, pour la première fois de son histoire, la marche a démarré symboliquement à Pantin dans une banlieue populaire, pour ensuite traverser le nord-est parisien plutôt que les riches et prestigieux quartiers centraux de la capitale. Aucune marque présente donc cette année dans le défilé et, du côté des associations, il y a quelques défections qui illustrent des crispations nouvelles.
Air France et policiers « non grata » ?
Une absence remarquée : celle de l’association Personn’Ailes du groupe Air France accusée par la « pride radicale » de complicité avec l’Etat pour l’expulsion de migrants, y compris les personnes LGBTQIA+ victimes de persécutions et craignant pour leurs vies dans leurs pays d’origine.
Cette première absence de Personn’Ailes depuis 20 ans s’explique par des menaces de perturbations et agressions reçues via le net et mettant clairement en cause le supposé « Pink washing » d’Air France… Autre tension, l’absence historique de l’association FLAG ! fédérant les agents LGBTQIA+ des Ministères de l’Intérieur et de la Justice, pompiers, et policiers municipaux…FLAG a craint elle-aussi pour sa sécurité car - dixit son président - la marche « passe par des quartiers où les policiers ne sont pas toujours les bienvenus ». Une défection qui interroge et qui nous rappelle en écho que la première « Gay Pride » de 1969 à Stonewall fut une émeute contre la police new-yorkaise…
Marche sur des œufs…
Dans ce contexte sensible, il semble que pour l’édition 2022 qui envisage le retour des chars commerciaux pour son financement, la question du marketing en direction des personnes LGBTQIA+ et du possible « pink washing » devra être considérée avec beaucoup de prudence par les marques, dont celles du tourisme. Depuis toutes petites, les personnes LGBTQIA+ ont en effet appris à se méfier… et à contester !
Bien d’ACCOR !
Le 14 juin 2021, le groupe ACCOR se félicitait tambour battant de la signature d’un partenariat mondial avec l’IGLTA (International Gay & Lesbian Travel Association) en rejoignant en sa qualité de membre Platinum cette organisation née aux USA en 1983 et présente en France depuis une quinzaine d’années déjà… Il n’est certes jamais trop tard et le signal sera fort et bienvenu, notamment auprès des clientèles LGBTQIA+ anglo-saxonnes.
On observera également avec intérêt le positionnement du groupe hôtelier dans ses établissements et les marchés hongrois, polonais, iraniens, émirati, saoudiens, turques, brésiliens ou encore russes…En France, ce fleuron hôtelier hexagonal qui affirme dans son communiqué de presse être à l’« avant-garde sur les questions LGBTQ+ » (tout en oubliant le I des personnes intersexes…) n’a par contre pas daigné sponsoriser d’un seul Euro les « Gay Games» qui se sont tenus à Paris du 4 au 12 août 2018.
Cet évènement inclusif inédit – sportif, culturel et touristique - a été organisé grâce à la puissance du bénévolat du mouvement LGBTQIA+ et a apporté plus de 66 millions d’euros de retombées économiques dans la capitale dont plus de 100 000 nuitées dans les hébergements de la ville lumière (dont ceux d’Accor…). Ce fut alors une belle occasion manquée pour faire rayonner auprès de plus de 10,300 participants de 91 pays, et bien au-delà, les valeurs de diversité, d’inclusion et d’appui aux communautés LGBTQIA+ du groupe hôtelier… Cette même année 2018, Air France et Aéroports de Paris s’engageaient déjà pour un ticket de 50,000€ chacun auprès de la fondation FIER chargée de déployer l’héritage inclusif de ces jeux de la diversité…
Mercato mondial
L’édition 2022 des « Gay Games » à Hong-Kong sera un autre tremplin pour les marques de tourisme souhaitant envoyer un signal fort sur les marchés LGBTIQ+ d’Asie-Pacifique et du reste du monde. C’est le groupe Marriott Bonvoy, concurrent d’Accor, qui a signé un chèque d’environ 1 million de dollars pour être le 1er partenaire de l’évènement aux côtés du géant Youtube… A cette échelle, les marques françaises du tourisme (Air France, Club Med,…) semblent ainsi rester dans la cour des « petits joueurs » sur le marché mondial du marketing affinitaire LGBTIQ+…
La RSE en question
Si le marketing communautaire est un outil de conquête et de fidélisation de nouvelles clientèles, il est aussi un vecteur clé des politiques de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) au service de l’inclusion et diversité dans le milieu du travail. En France, l’association « L’Autre Cercle » a réussi depuis 2012 à fédérer de nombreux fleurons nationaux (Axa, BNP, Cap Gémini, Casino, Nexity, Sodexo, Sanofi, Vinci, Orange,…) autour de sa « Charte d’engagement LGBT+ » (à découvrir via ce lien) à destination notamment des gestionnaires de ressources humaines.
Parmi les 163 groupes et institutions signataires, on ne note qu’un seul groupe du tourisme : Air France, tous les acteurs de l’industrie des voyages étant encore aux abonnés absents…
Etrange pour un secteur d’activité qui brasse pourtant toute la diversité du monde parmi ses clients, fournisseurs et collaborateurs. Ou alors simple conviction d’une industrie qui se croit peut-être déjà à l’avant-garde et exemplaire en la matière… ?
Philippe Mugnier-Eté
*Personnes Lesbiennes Gay Bisexuelles Transsexuelles Queer Intersexes Asexuelles et autres