Découragés par des listes d’attente interminables, des patients fortunés parcourent des milliers de kilomètres pour recevoir un rein, un coeur ou une cornée sans trop se soucier de leur provenance. Cet affreux trafic repose sur le manque de scrupules des uns et le manque d’argent des autres. Moins visible, le commerce des transplantations et le niveau type de tourisme qu'il génère repousse les barrières éthiques au seul profit de l’offre et de la demande. Face à la pénurie d’organes des pays développés, des donneurs des pays pauvres poussés par la pauvreté sont prêts à sacrifier un rein ou une cornée, quitte à rester ensuite sans soins.
L’enfer des donneurs "malgré eux"
"Dans le Pakistan rural, Haleem Bibi n’a pas eu le choix pour aider sa famille après la sévère blessure à la main de son
mari. Pour joindre les deux bouts en février de l’année dernière, cette mère de 7 enfants a vendu un de ses reins pour près de 1 500 dollars à une clinique s’occupant de clients étrangers, prêts à débourser plus de 40 000 dollars pour une transplantation d’organe. Quelques mois plus tard, la famille de Bibi croule toujours sous les dettes et sa santé s’est détériorée après n’avoir reçu aucun soin post-opératoire, une constante pour ce type de commerce". Tel est le tableau effrayant qui ouvre le dossier du Bulletin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Des milliers de personnes pauvres du Pakistan mais également d’autres pays se retrouvent exploités sur le marché international des organes. Selon l’OMS, près de 10 % des 63 000 greffes de reins réalisées chaque année dans le monde impliquent le paiement des donneurs non-apparentés et de différentes nationalités.
En Chine, ce sont les organes des condamnés à mort qui trouvent là un débouché financièrement juteux. L’origine des greffons permet même de programmer les transplantations selon le choix du "client". Mais le pays se s'est récemment engagé à ne plus recourir à ce type de pratiques lors de la conférence de Guangzhou sur les transplantations… évitant ainsi une mauvaise publicité quelques mois avant le début des Jeux Olympiques de Pékin. Le rouleau médiatique compresseur des JO étant désormais terminé, retrouvons vigilence...
Selon Organs Watch, projet indépendant de scientifiques, la liste des pays soupçonnés de ce type de trafic est longue : Pakistan, Chine, mais aussi Afrique du sud, Inde, Moldavie, Brésil…
Favoriser les alternatives au don pour mettre fin à ce tourisme morbide
En 2006, en France, près de 12 400 personnes ont eu besoin d’une greffe d’organes et 229 patients sont décédés faute de greffon. Chaque année, le nombre de personnes inscrites en liste d’attente est plus élevé (+ 4 % en 2006) et le décalage entre le nombre de nouveaux inscrits (5 433 en 2006) et le nombre de greffes réalisées (4 426 en 2006) reste important.
Différentes approches ont tenté de lutter contre le manque d’organes disponibles.
Parallèlement, la recherche progresse tentant de mettre au point des alternatives au don d'organes, comme les greffes d’organes d’animaux, des organes artificiels ou la mise en culture de cellules ou d’organes humains. Enfin, des soins préventifs s’avèrent nécessaires pour empêcher l’apparition de maladies nécessitant des greffes. Mais aucune de ces mesures ne saurait constituer des solutions crédibles dans les 5 à 10 ans à venir.
Faut-il autoriser le commerce d’organes ?
En 1991, l’Assemblée mondiale de la santé adopte le principe de l’interdiction du commerce d’organes : "Le corps humain et ses organes ne peuvent être l’objet de transactions commerciales. De ce fait, donner ou recevoir paiement (incluant toute forme de compensation ou de récompense) pour des organes doit être interdite".
Mais aujourd’hui, certains professionnels de santé vont jusqu’à remettre en cause ce principe. C’est le cas de Amy Friedman
chirurgien américain spécialisé dans les transplantations qui plaide dans le British Medical Journal pour un paiement des donneurs vivants non-apparentés. Selon lui, ce procédé permettrait d’augmenter l’offre via un marché légal et d’éliminer ainsi les trafics, en rendant la procédure plus claire pour toutes les participants. Outre des réserves éthiques évidentes, un tel système (déjà en place en Arabie Saoudite) attire immanquablement les catégories les plus pauvres de la population sans pour autant répondre pleinement à la pénurie de greffons. Enfin, une officialisation de ce commerce ne mettrait pas pour autant fin au trafic d’organes dans les pays défavorisés, où de nombreux candidats au don resteront séduits par l’argent, ou devront céder à des pressions autres que financières. Même en cas d’adoption de règles éthiques dans ces pays, il sera plus que difficile de les faire respecter avec un système sanitaire insuffisamment structuré.
Un système de transplantation basé sur l’argent devrait immanquablement accroître les inégalités, jusqu’à donner un prix à l’intégrité du corps ou à la dignité. A l’inverse, un système basé sur la solidarité et le don avec pour seule motivation le fait de sauver des vies n’apparaît pas suffisant pour régler le problème de manque de greffons.