Pour beaucoup, (parmi ceux qui peuvent se permettre de quitter leur emploi pendant un temps), les vacances ne sont pas différentes de ce qu’elles étaient il y a cinquante ans : la maison de famille, la plage, le camping. De plus, à travers le monde, des centaines de millions de gens rejoignent chaque année ceux à qui l’économie permet de reconstituer par un repos leur force de travail, pour améliorer la rentabilité des entreprises.
Pourtant, en fait, là comme ailleurs, des changements considérables sont en cours : de plus en plus de gens, dans les pays développés ou en développement, sont privés de vacances par la crise financière et par la peur de la précarité. Ceux qui peuvent encore en prendre les organisent autrement : ils choisissent des périodes de plus en plus courtes et différenciés, soit parce qu’ils doivent les diviser en tenant compte d’agendas complexes , comme dans les familles recomposées ; soit parce qu’ils doivent, comme de plus en plus de jeunes, les raccourcir et travailler en été pour financer leurs études. Soit enfin que la crise impose une telle pression que chacun, s’il le peut, prend un maximum de vacances, en attendant la catastrophe, que tous pressentent.
De plus, pour beaucoup de gens, les vacances ne sont plus seulement, comme l’étymologie le laisse croire, un moment de vide. Pour certains, (et en particulier les gens en retraite, en principe en vacances perpétuelles), elles constituent des occasions de s’instruire, de se trouver, de réfléchir. Certains de ceux-là courent le monde, de façon épuisante. D’autres veulent au contraire s’isoler du monde, pour un temps au moins. D’autres enfin partagent la propriété ou l’échange de lieux de vacances, qu’ils utilisent de façon intermittente.
L’évolution des vacances ne s’arrêtera pas là ; d’autres tendances, beaucoup plus radicales sont à l’œuvre. On peut imaginer même qu’un jour, pas si lointain sans doute, on assistera non seulement au temps partagé des lieux de vacances, mais à l’échange de vies : prendre, pendant un temps, des vacances de soi ; devenir un autre ; vivre une autre vie, y compris sentimentale. Parce qu’on n’a aucune certitude de vivre plusieurs vies successives, on s’installera, pour un temps, (pour l’essentiel à l’intérieur de son groupe social, et plus rarement en en changeant), comme paysan ou ouvrier, ou cadre. Dans son pays ou dans un autre.
Partir ainsi de soi pour un temps servira non à reconstituer la force de travail, mais la force mentale de vivre une seule vie, pour ceux qui n’ont pas accès au luxe majeur de l’avenir : vivre à la fois plusieurs vies, être multiple ; qui est au fond aujourd’hui le véritable luxe.
Cela peut paraitre fou. Pourtant, bien des gens déjà font l’effort d’échapper à leur vie programmée. Beaucoup plus de gens qu’on ne croit disparaissent à jamais de leur plein gré.
C’est évidemment un traumatisme pour leur entourage et, comme dans tous les domaines de la vie, on finira par accepter en toute transparence ce que des précurseurs osent faire en violation des lois et des règles morales. Comme on a accepté, après bien des scandales, le divorce, on acceptera sans doute un jour en toute transparence, le divorce provisoire, la vie multiple passagère, la vacance de la famille, en lieu et place des vacances familiales.
Pensez y bien, et vous verrez que, d’une certaine façon, c’est déjà en germe dans la vie quotidienne de tous et, plus encore, dans les fantasmes de chacun.