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Ze blog off/de Philippe Mugnier-Eté

En vacance de soi - devenir un autre, vivre une autre vie: ce sera l'évasion de demain (par Jacques Attali)

Publié le 8 Juillet 2012 par Jacques ATTALI dans Prospective

Pour beaucoup, (parmi  ceux qui peuvent se permettre de quitter leur emploi pendant un temps),  les vacances ne sont pas différentes de ce qu’elles étaient il y a cinquante ans : la maison de famille, la plage, le camping. De plus, à travers le monde, des centaines de millions de gens rejoignent chaque année ceux à qui l’économie permet de reconstituer par un repos leur force de travail, pour améliorer la rentabilité des entreprises.

Pourtant, en fait, là comme ailleurs, des changements considérables sont en cours : de plus en plus de gens, dans les pays développés ou en développement, sont privés de vacances par la crise financière et par la peur de la précarité. Ceux qui peuvent encore en prendre les  organisent  autrement :  ils  choisissent des périodes de plus en plus courtes et différenciés,  soit parce  qu’ils doivent les diviser en tenant compte d’agendas complexes , comme  dans les familles recomposées ;  soit parce  qu’ils doivent, comme de plus en plus de jeunes, les raccourcir et  travailler en été  pour financer leurs études.  Soit enfin que la crise impose une telle pression que chacun, s’il le peut, prend un maximum de vacances, en attendant la catastrophe,  que  tous  pressentent.

De plus,  pour beaucoup de gens, les vacances ne sont plus seulement, comme l’étymologie le  laisse croire, un moment de vide.  Pour  certains, (et en particulier  les gens en retraite, en principe en vacances perpétuelles), elles constituent  des occasions de s’instruire, de  se trouver, de réfléchir.  Certains de ceux-là courent le monde, de façon épuisante. D’autres veulent au contraire  s’isoler du monde, pour un temps au moins.    D’autres enfin partagent la propriété ou l’échange de lieux de vacances, qu’ils utilisent de façon intermittente.

L’évolution des vacances ne s’arrêtera pas là ; d’autres tendances, beaucoup plus radicales sont à l’œuvre. On peut imaginer même  qu’un jour, pas si lointain sans doute, on assistera  non seulement au  temps partagé des lieux de vacances,  mais à  l’échange de vies : prendre,  pendant un temps,   des vacances de soi ;   devenir  un autre ;  vivre une autre vie, y compris   sentimentale.   Parce qu’on n’a aucune certitude de vivre plusieurs vies successives, on s’installera, pour un temps, (pour l’essentiel à l’intérieur de son groupe social, et  plus rarement en en changeant),  comme paysan ou  ouvrier, ou cadre. Dans son pays ou dans un autre.

Partir ainsi de soi pour un temps  servira non à   reconstituer  la force de travail, mais la force mentale de vivre une seule vie, pour ceux qui n’ont pas accès au luxe majeur de l’avenir : vivre à la fois plusieurs vies, être multiple ; qui est au fond aujourd’hui le véritable luxe.  
Cela peut paraitre fou. Pourtant, bien des gens déjà font l’effort d’échapper à leur vie programmée.  Beaucoup plus de gens qu’on ne croit disparaissent à jamais de leur plein gré.



C’est évidemment un traumatisme pour leur entourage et, comme dans tous les domaines de la vie, on finira par accepter en toute transparence ce que des précurseurs osent faire en violation des lois et des règles morales. Comme on a accepté, après bien des scandales, le divorce, on acceptera sans doute un jour en toute transparence,  le divorce provisoire, la vie multiple passagère,  la vacance de la famille,  en lieu et place des vacances familiales.

Pensez y bien, et vous verrez que, d’une certaine façon, c’est déjà en germe dans la vie quotidienne de tous  et, plus encore,  dans les fantasmes de chacun.

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Le tour du monde des iconoclastes - épisode 2 : de la conservation de la patate au plan divin

Publié le 5 Juillet 2012 par philippemugnier dans Tour du Monde

C’est l’histoire d’un mec, qui sur l’insistance de sa femme voulant creuser un trou pour conserver les patates dans sa cave, transforme le modeste orifice en temple troglodyte de 21 mètres de profondeur (l’équivalent d’un immeuble de 7 étages !) sous sa maison… En 1983, Levon ARAKELYAN est un modeste manoeuvre dans le batiment et fait des va-et-vient de plusieurs mois entre l'Arménie et la Russie. Il reçoit soudain la visite d’un ange éblouissant et architecte en chef dans sa modeste maison de Arinj, proche banlieue de Erevan. L’ordre de l’ange est clair (sous la dictature, ça rigole pas...) : «  Je te confie un boulot – tu vas vivre 96 ans et des images vont t’apparaître pendant toutes ces années. Respecte ces ordres scrupuleusement - Constuit moi une cathédrale !».

La spiritualité c’est bien beau en URSS athée - le temple attendra, mais en cette période de disette soviétique, sa femme Tosya se fait plus insistante « J’ai besoin d’un trou pour bien conserver les patates pendant l’hiver ». Deux ans plus tard en 1985, pour calmer son épouse Tosya devenue sérieusement menaçante, il prend son courage à deux mains et creuse le dur basalte de sa cave que tout le village juge impénétrable. Avec trois verres de cognacs arménien, l’œuvre est plus facile – le trou à patates est achevé mais sa peine n’est pas terminée - l'ange n'a pas la mémoire courte. Surprise, l’ange revient en le rappelant à l’ordre et sa vie bascule définitivement. Il démissionne de son boulot pour désormais ne plus  se consacrer qu’à l’exécution du plan divin dans sa maison : creuser une cathédrale souterraine. Sa femme ramenera la pitance mais le salaire de Levon en moins, il n’y a plus de patates pour sa

famille de 4 enfants qui s’enfonce dans la misère. Plutôt que de s’élever alors vers le ciel, Levon creuse, creuse et creuse encore  17 heures par jour. La famille survit tout juste.  Mais sa force est surnaturelle, il creuse, creuse, creuse – à la force unique de sa main et sculpte cavités, chapelles, croix, alcoves…. Fort ému, Boris

ELTISNE (après une visite à l’usine de Cognac Arménien ARARAT) en visite à Erevan lui offre de beaux outils bien plus pratiques. Conservés religieusement, Levon ne s’en servira jamais – il continue avec acharnement avec ses maigres ciseaux et marteaux. 24 ans après l’apparition de l’ange et une famille qui s’enfonce encore plus dans la pauvreté, le chef d’œuvre est magnifique – une véritable merveille souterraine. « Tout me vient en rêve

pendant la nuit et au réveil, mon travail de la journée est très clair et chacun des centimètres est conforme au plan” dit Levon « Je ne veux pas sortir de cette cave, ce lieu est le mien et ma vie spirituelle est désormais totalement séparée du monde séculaire et ses problèmes ». Entre-temps, il évacue du sol plus de 450 camions de pierre et terre pour son œuvre en ayant bien en tête d’exécuter une cathédrale souterraine de 74 cavités – « Conformément à l’ordre » dira t-il. Impossible, la mort l’a emporté en février 2009 soit 30 ans avant ses 96 ans annoncés par l’ange qui n'aura ainsi pas tenu parole alors que Levon, lui - a bien joué le jeu - scrupuleusement ! Levon n'aura alors achevé "que" 8 pièces cavités (et tout autant de couloirs et escaliers) - un travail de titan. Sa veuve Tosya que j’ai eu l’honneur de rencontrer est évidemment

inconsolable...(photo ci-contre, devant une autre oeuvre de Levon : le mythique Mont Ararat pardi !). Depuis, plus de 40 000 visiteurs sont venus découvrir l’œuvre de son défunt mari. La famille est définitivement sortie de la misère - n’a jamais pu s'offrir autant de patates et de capacité de stockage sous leur modeste demeure et merveilleux jardin

mais Levan n'est plus là. Cette histoire est belle et triste. Des gens forts simples pour une vie et oeuvre extra-ordinaires.Venez visiter cet endroit, Tosya a besoin de comprendre que son mari a bel et bien réalisé une oeuvre prodigieuse de sa vie comme du sous-sol de sa maison modeste pour la postérité.  Merci Tosya de ton émotion et la bonté de ton accueil. Ton Levon a été un être extraordinaire. That’s all folks - c'est en Arménie.

 

 

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