Je fais un rêve…En 1949, 13 personnalités de réputation mondiale lancent un appel pour la création d’un corps électoral transnational allant préfigurer une Assemblée Mondiale des Peuples. Cette Assemblée voulant contrebalancer le pouvoir de l’Assemblée Générale de l’ONU qui réunit des représentants d’Etats, non élus par les peuples mais désignés par les Etats. L’Association « Citoyen du Monde » prenait son envol. L’idée exprimée par Guy Marchand est d’une simple logique : à problèmes communaux, élus communaux - à problèmes nationaux, élus nationaux - à problèmes mondiaux, élus mondiaux. Il y a des problèmes mondiaux or il n’y a pas d’élus mondiaux.
La démocratie mondiale n’existe donc pas. La Citoyenneté Mondiale n’existe pas. Tout du moins, pas encore…le tourisme pourrait-elle être cette force donnant le coup de main nécessaire? Depuis l’aube de l’humanité, un grand rêve ne cesse de travailler les hommes : c’est celui du cosmopolitisme. Se nomme citoyen du monde ou cosmopolite quiconque désire œuvrer au rapprochement entre les peuples, considère cette planète comme sa patrie commune, estime que ses habitants forment un peuple commun avec des droits et devoirs communs et en dehors des clivages nationaux, et place l'intérêt de cet ensemble humain au-dessus des intérêts nationaux. Fondé sur l’amour de la paix et de la liberté, sur la haute conscience de l’unité de l’humanité, le sentiment cosmopolite aura contribué, et contribue encore à la tâche de civilisation de la planète et du progrès de l’humanité. A l’heure où le fracas des nationalismes se fait assourdissant et où le thème de la mondialisation heureuse - ou malheureuse selon les analyses- fait la une des journaux, réfléchissons sur l’expression « Citoyen du Monde », sa genèse, son actualité et ce qu’elle peut signifier pour nous professionnels du tourisme ; Même des peuples et dans les cultures dont nous remontons les traces le plus loin dans le passé – en Mésopotamie par exemple, les mythes, les titres et les cartes géographiques témoignent déjà d’une vision universaliste du monde. Il faut pourtant attendre des millénaires pour que soit franchie l’étape suivante et qu’apparaisse la notion de citoyen, celui qui participe à la vie de la Cité. Au IV è siècle a J.C., Diogène de Sinope prétend pour la première fois être « Citoyen du Monde ». Les grecs sont donc les premiers à se fixer pour tâche la pensée conceptuelle de l’unité du monde : ils postulent par principe la commune appartenance de tous ceux qui ont un visage humain. Par le voyage mythique d’Ulysse et la colonisation grecque, on commence à appréhender le monde dans son unité. En Grèce, le passage de l’étranger du statut d’ennemi à celui d’hôte est une des grandes conquêtes de la civilisation humaine. Les stoïciens formulent vers 315 a J.C. avec leur père fondateur Zénon de Kition une doctrine du cosmopolitisme qui reste en vigueur pendant tous les siècles de l’époque hellénistique et de l’Empire romain. Leur cosmopolitisme est issu du désir de l’individu d’échapper aux ordres préétablis, d’échapper aux liens telluriques, aux appartenances de caste et de se développer en tant que personne. Avec l’appui de la raison, qui se pose comme autonome et prétend à la validité universelle, l’individu - qui va toujours de l’avant et fait sans cesse de nouvelles découvertes - aspire à l’émancipation et à la liberté. Euripide proclame « Partout dans les airs, l’aigle est chez lui, sur toute la terre, l’homme noble est dans sa patrie ». Socrate proclame quant à lui « Je ne suis ni d’Athènes, ni de Corinthe, je suis Citoyen du Monde ». Le deuxième élément constitutif du cosmopolitisme grec remonte à Alexandre, dont le principe fondamental est l’égalité entre les peuples qui ne doivent former qu’une seule communauté. L’expérience de l’empire d’Alexandre engendre l’idée de l’Etat universel. Il ordonne ainsi aux Hellènes et aux Barbares de se mêler comme dans – je cite - un calice d’amour universel. Ils doivent, proclame-t-il, considérer le monde comme leur véritable patrie. Alexandre se considère comme un bienfaiteur de tous les peuples, à qui il apprend à dépasser les frontières et les préjugés nationaux pour servir l’humanité. Alexandre cherche donc à former l’empire universel. Lorsque le monde hellénistique passe progressivement sous l’autorité romaine, les idées et les pratiques cosmopolites deviennent hors d’usage et tombent dans l’oubli pour un millénaire et demi. La mobilité donne place à la sédentarité. A cette époque, le développement de la personnalité n’est recherché en aucune façon. La liberté, considérée à l’origine comme le moteur premier de l’individu, devient une indépendance présomptueuse, une forme de révolte contre l’ordre établi, une révolution contre les puissances, une rébellion contre Dieu lui-même. Dans le cadre de cette évolution, la vie en ce bas monde se trouve dévalorisée par rapport à la vie dans l’au-delà. Le Citoyen du Monde stoïcien était tourné vers le monde, le nouvel universalisme catholique se détournait au contraire du monde pour s’orienter vers l’au-delà. C’est Saint Augustin et les 21 livres de « La Cité de Dieu » qui fixe le cadre de cette pensée. Les choses changent presque d’un coup à partir du milieu du XI ème via le développement des pèlerinages, des croisades, des voyages commerciaux, la constitution de corporations autonomes de bâtisseurs qui marquent le haut Moyen Âge, le développement des marchés et foires internationales (à Anvers, Genève, Lyon, …). A la Renaissance, les humanistes reprennent souvent à la lettre les conceptions du cosmopolitisme de l’Antiquité. Mais à la différence des cosmopolites de l’Antiquité qui vivaient dans de vastes empires multinationaux et polyglottes, les humanistes de la Renaissance vivent dans de minuscules principautés qui se livrent une guerre cruelle. Le cosmopolitisme conçu pendant les siècles du Moyen Âge comme un désir d’unité sous l’autorité d’un même chef spirituel ou temporel déplace à la Renaissance son objectif vers la paix terrestre. Le sens de la vie des humanistes n’est plus celui d’une retraite hors du monde, mais d’une tentative d’exercer une action sur lui. En 1544, Guillaume POSTEL redéfinit le terme de « cosmopolitisme » comme une orbis terrarum concordia, c’est à dire, une concorde mondiale laïque, une fraternité supranationale hors de l’orbite religieuse, fondée sur le libre choix des individus. Puis vient l’explosion planétaire et l’ère des grandes découvertes géographiques. Jusqu’alors, toutes les conceptions universalistes comportaient une réserve tacitement admise : on entendait par « monde » la partie du monde connue, accessible et explorée. Le vieux rêve de l’unité de l’humanité se met alors en œuvre, tout du moins d’un point de vue géographique. Puis vient le véritable siècle du cosmopolitisme : le XVIII ème, celui des Lumières qui prend rapidement une dimension politique. La citation de Pierre BAYLE est éclairante « Pas plus français qu’allemand, anglais ou espagnol, je suis citoyen du monde, je ne suis ni au service de l’empereur ni au service du Roi de France, mais au service de la vérité, elle est ma seule Reine à qui j’ai prêté serment d’obéissance ». Quant à Thomas JEFFERSON, il inscrit la mission universaliste des Etats-Unis dans la Déclaration d’Indépendance : l’Amérique agit pour l’humanité entière. Aux yeux de Locke, la division du monde en Etats séparés et indépendants n’est qu’un effet de la nature mauvaise de l’homme qu’il faut surmonter. Condorcet veut quant à lui voir à la place des nombreux Etats indépendants un Etat Universel englobant l’humanité entière dont la fondation est à la fois souhaitable et inéluctable. Ce même Condorcet projette la fondation d’un institut universel qui se consacrerait à la création d’une langue universelle. Au XVIII ème, ces pensées optimistes et ces généreux idéaux sont défendus surtout par des intellectuels étonnamment unis et en harmonie en dépit de toutes les différences personnelles ou nationale et de toutes les divergences d’opinion. Les signes extérieurs de cette appartenance sont la fréquentation de certains lieux de rencontre, cafés, caves, bars à huîtres, où se rendent les plus illustres, les invitations occasionnelles ou régulières dans les salons, enfin l’inscription dans des clubs, loges, sociétés savantes ou académies. Paris compte à l’époque jusqu’à 800 salons. Les salons et celles qui les tiennent assument aussi une fonction médiatique et de communication qui revient aujourd’hui à la presse et à la télévision. Tel Internet aujourd’hui, la correspondance est aussi une véritable folie sous les Lumières. Le cosmopolitisme au cours de la seconde moitié du XVIII atteint par contre un sommet. En dépit de la 2ème vague d’expansion et de colonisation des grands Etats européens, le cosmopolitisme recule au XIX et XXème siècle devant les actions nationalistes et impérialistes des Etats souverains. Aussi, pour la première fois, durant le XX ème, le cosmopolitisme est institutionnellement combattu. Il devient même une injure dans la bouche de Staline ou d’Hitler. Le cosmopolite est un dégénéré. Les thèses conspirationnistes reprennent de la vigueur sur ces cosmopolites forcément illuminati ou juifs qui voudraient contrôler le monde et créer un gouvernement mondial, fossoyeur des libertés et de la paix. Les comportements et les idées cosmopolites se retranchent alors dans un certain nombre de groupes sociaux (les diplomates, savants, artistes, sportifs, …) et dans un certain nombre de réduits (les hôtels internationaux, paquebots, …). Le grand paradoxe de ce XX siècle réside en ceci que nous avons atteint dans le monde entier un degré extrême de sentiment national au moment même où, de tout point de vue rationnel, nous devons trouver les moyens de surmonter le nationalisme. Sur le plan politique, le monde s’est morcelé en près de 200 nations. Parallèlement, l’ONU tente, à travers différentes organisations internationales, de fédérer - globalement ou thématiquement - ces 191 nations dans un objectif de paix et de progrès. Mais à l’ONU, il n’est plus question de cosmopolitisme – il n’est seulement question que d’internationalisme – c’est à dire de gestion des relations entre nations. Les groupements inter- ou supranationaux sont en effet structurés en fonction des appartenances nationales. Au XXème siècle, il n’existe sur le plan pratique aucune organisation politique globale, démocratique et cosmopolite. Le cosmopolitisme institutionnel reste encore aujourd’hui une utopie. Au niveau des individus, le sentiment cosmopolite grandit pourtant.
Phénomène récent, le tourisme international, jadis réservé à l’aristocratie anglaise - s’est démocratisé en 50 ans à peine à l’échelle de la planète avec plus de 700 millions de voyageurs internationaux – Ce mouvement est exponentiel. En 2020, nous compterons plus de 1,5 milliards de voyages internationaux, soit le double du chiffre de 2004. C’est aujourd’hui la première industrie mondiale. Parallèlement, par la naissance d’une opinion publique mondiale via les media et le web, l’humanité devient une communauté de larmes, de souffrances et de joies. Aucun pays ne reste extérieur à la politique mondiale. En 1969, plus d’un milliard de terriens observe la Terre filmée de la lune…Par ces phénomènes inédits, la conscience de l’unité de l’humanité s’étend, les comportements cosmopolites se démocratisent, l’idée de cosmopolitisme gagne petit à petit des couches plus larges, et ce sur tous les continents, même les plus pauvres. Aussi, un siècle après la création des associations issues de la Loi de 1901, les engagements associatifs prennent une dimension cosmopolites et déconnectée des Etats, qu’ils soient humanitaires (Médecins du Monde, Croix Rouge, …) ou politiques (Forums Sociaux, Attac, Greenpeace…). De son côté, la notion d’ingérence humanitaire a fait son chemin. Chacun se mêle de ce qui se passe chez l’autre. Aussi, pour certains, l’avènement du « village planétaire libéral » peut être perçu comme la réalisation de l’utopie cosmopolite. Chacun étant en effet libéré, par le libéralisme, du carcan des Etats nations jugés par certains responsables de nos maux présents, passés et à venir. Suite à ce panorama historique, comment pourrions-nous définir le cosmopolite, le « Citoyen du Monde » ? En résumé, le comportement cosmopolite se fonde sur l’individu qui considère le monde comme sa sphère d’évolution et de développement, où tous les hommes sont semblables. Le cosmopolite n’ignore, ne nie et ne méprise en aucun cas les différences qui se sont historiquement instaurées entre les nations et autres groupements d’affiliation. Mais il ne leur prête aucune signification mystique ou métaphysique. Le cosmopolite veut entrer en contact avec les nations étrangères, leurs habitants, leurs institutions, et leur philosophie, toujours dans l’optique de l’humanité unique. Il ne s’arrête pas aux particularismes, il les assimile. Le cosmopolitisme antique était la communauté suprême réunissant tous les hommes et les dieux. Au fil des millénaires, on l’a vu, on finit par désigner sous son nom de cosmopolites tous ceux qui prétendent avoir partout sur la planète un droit à la citoyenneté et tenant pour illégitimes les frontières, fermetures et exclusions, interdictions d’entrer ou de sortir d’un pays, et autre obstacles et barrières. La foi dans le progrès de l’histoire est la condition même d’une appréhension cosmopolite du monde. Au sein de ce monde doit – en second lieu – régner la paix. La paix cherchant sa réalisation avec plus ou moins d’intensité et d’urgence ici-bas ou dans l’au-delà. Erasme a été le premier a ériger en principe politique absolu la nécessité d’un monde sans guerre. La tolérance à l‘égard des êtres résulte de cette impératif de paix. Et au cœur de cet univers uni et pacifique doit – en troisième lieu - régner la liberté, en particulier la libre circulation. Le cosmopolite doit pouvoir se déplacer librement et sans entraves, agir en toute liberté, aussi bien sur le plan de la participation politique que de l’épanouissement de sa personnalité individuelle. Après ce grand détour politico-philosophico-utopique, une réflexion à méditer : …l’industrie du tourisme n’est-elle pas en train de créer ces hordes de « Citoyens du Monde » ?
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